Télétravail à corps perdus !

Télétravail à corps perdus !

5 janvier 2023 0 Par oberthelot

Que deviennent nos corps abandonnés sur des sièges de travail, réduits à des mouvements oculaires, des tapotements frénétiques et une intense activité cérébrale ? 

Ils sont séparés, morcelés.

L’autre ne voit qu’une image, un bout de notre corps. Surtout notre visage, cadré par la caméra, le reste lui étant caché, absent. Et pour nous aussi, notre corps est devenu invisible ou plutôt insensible. Notre attention polarisée par l’écran ne le capte plus. Notre corps n’est plus ressenti. De temps en temps, une gorge sèche, une envie de grignoter, une douleur musculaire, une vessie pressante, nous rappellent au minimum syndical corporel : boire, manger, se remplir, se vider. Nous ne ressentons plus notre corps ou si peu. Et l’autre, de l’autre côté de l’écran, nous ne le ressentons pas non plus. 

L’espace s’est élargi. Nous avons travaillé avec d’autres très loin de nous, comme dans un espace dilaté, incorporel. Nous avons beaucoup produit, répondu à beaucoup de sollicitations, envoyés beaucoup de réponses ou de questions. La fin de journée nous a trouvé hébétés, groggy, un peu vides aussi. Notre ressenti s’est rétréci. 

Absorbés comme dans un espace élargi, nous éprouvons en fin de journée le besoin de ressentir. Alors, il arrive que l’on prolonge paradoxalement, par une autre plongée, dans d’autres écrans très stimulants. Ils nous font ressentir, mais sans relation. Nos affects se trouvent stimulés par média interposé. Ce n’est pas la vraie vie, mais ce sont de vrais sensations de plaisir, de peur, de joie ou de tristesse. Du vrai ressenti oui, mais dans une réalité médiatisé, à distance, que nous contrôlons. Nous pouvons décider de continuer, zapper ou éteindre. C’est la sensation, sans le risque de la relation. 

En fin de journée de travail, pour nous unifier à notre corps, il nous faut plus qu’un besoin de ressenti. Il nous faut un sursaut, presque une révolte. Désirer, commercer à exister de nouveau avec notre corps et notre coeur. Vouloir, retrouver notre intégrité. C’est d’abord, presque désagréable. Puis cela vient. Nous reprenons corps. Nous sentons. Nous ressentons. Notre respiration, notre ventre. Nous prenons conscience de notre intériorité. Nous existons. Puis si nous avons une personne près de nous, échangeons un regard. Un regard qui dure ! Une présence qui fait sens pour nous. Notre présence qui fait sens pour l’autre. Entrer en contact physique. Se tenir la main. Se serrer la main. Se donner une tape sur l’épaule. Se serrer, s’embrasser. Toucher et être touché. 

Toucher l’autre et être touché par l’autre. Sentir et être ressenti. Nous n’avons pas d’autres modes d’existence que physique. 

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