Oser penser par soi-même !
Penser par soi-même, quel défi !
Pour quelques rares personnes, une nécessité d’existence, de résistance, de différenciation a créé très tôt une pensée personnelle. Quelle surprise et parfois dérangement, lorsqu’un enfant exprime une pensée à lui, sur un sujet ou souvent on ne l’attend pas. Une parole émerge, dont on ne saisit pas l’origine, comme une eau qui cheminerait cachée, souterraine et qui inopinément surgirait, étonnante car inattendue. Une parole qui n’est pas juste une réaction, un contre-pied. Pas une opposition appuyée sur le point de vue adverse. Non. Une parole singulière, comme une manière originale d’exister au monde.
Pour beaucoup d’entre nous, cela n’a pas été ou n’est pas toujours le cas.
La pensée personnelle existe peu ou si peu. Peu de « retour » réflexif sur son action. Peu de regard à partir de soi sur ce qui nous entoure. Peu d’audace. Peu de prise de risque d’une pensée qui pourrait nous conduire à une parole personnelle. Un manque de courage peut-être aussi de prendre sa place, d’assumer sa responsabilité d’abord vis à vis de soi-même. Quelle pensée émerge en moi ?
Nous sommes proche du désir qui sourd dans nos profondeurs, de ce qui résonne en nous et cherche à s’ex – primer, s’extraire, monter à la surface, apparaître. Il ne s’agit pas d’une pensée originale mais d’une pensée personnelle. D’une pensée qui résulte d’une cohérence. D’une pensée écrite dans la chair, vécue dans l’expérience, dans un temps et un espace bien précis.
Nous parlons d’une pensée qui est plus que réflexive. Une pensée sensible qui se connecte à nos croyances, nos histoires, notre désir. Une pensée sensible qui du coup, anime, fait vibrer l’être. Un peu comme une vieille voiture sans électronique, ni assistance. Les trépidations du moteur se ressentent dans le volant, dans le siège, dans le bruit. Une pensée personnelle fait trépider l’être !
Il faut du temps pour construire sa pensée et du silence, temps et silence, deux biens précieux et rares qui se conquièrent de « haute lutte ». La société et l’entreprise ont besoin de notre pensée personnelle. Elles la réclament et la redoutent en même temps. Hanna Arendt et Emmanuel Levinas nous en disent l’urgence et le drame.
« Quand chacun est ballotté sans réflexion, par ce tout ce que tout le monde fait et croit, ceux qui pensent ne peuvent plus se cacher parce que leur refus de suivre est voyant et devient ainsi une forme d’action. (…) La manifestation du vent de la pensée n’est pas la connaissance, c’est l’aptitude à dire ce qui est juste et injuste, ce qui est beau et laid ; et cela peut éviter des catastrophes du moins pour moi, dans les moments cruciaux. » Hannah Arendt
« Personne ne peut plus trouver la loi de son action au fond de son cœur. L’impasse du libéralisme réside dans cette extériorité de ma conscience à moi-même » Emmanuel Levinas
Prenons soin de laisser éclore en nous notre pensée personnelle et osons la partager !
Episode 2 de « Et si nous étions des animaux singuliers ? »
Olivier Berthelot